Deutschland : les Statues

15 minutes

Dès l’é­cran-titre du clip Deutschland de Rammstein, un cer­tain nombre de sta­tues défilent sous la lumière rouge des lasers. À pre­mière vue, elles pour­raient sem­bler banales, n’être qu’un élé­ment de décor. Mais en réa­li­té, elles par­ti­cipent acti­ve­ment à la nar­ra­tion de Deutschland. Ces sculp­tures pro­viennent des col­lec­tions de la Citadelle de Spandau. Ce sont des œuvres qui ont été long­temps dis­si­mu­lés à la vue du public en rai­son de leur carac­tère politique.

Ce n’est qu’en avril 2016 que la Citadelle de Spandau a déci­dé de les mon­trer au public dans le cadre d’une expo­si­tion per­ma­nent nom­mée Enthüllt. Berlin und seine Denkmäler (Dévoilés. Berlin et ses Monuments). Cette expo­si­tion se com­pose entre autres des sculp­tures de la Siegesalle (1898–1901), du Décathlète d’Arno Breker, d’une tête monu­men­tale de Lénine situé en 1970 sur la place des Nations Unies dans Berlin-Friedrichshain.

Siegesallee

Siegesallee, ou en fran­çais l’al­lée des Victoires, était l’une des allées du Großer Tiergarten. Mise en place entre 1895 et 1901, elle est l’œuvre de Guillaume II, alors Empereur alle­mand. Ayant coû­té plus de 1,6 mil­lion de marks, cette allée cen­trale était bor­dée d’al­côves. Chaque alcôve com­pre­nait un groupe sculp­té avec une sta­tue en pied et d’un banc de pierre semi-cir­cu­laire sur­mon­té de deux bustes. La sta­tue en pied repré­sente un per­son­nage his­to­rique et les bustes sont des figures majeures de la période du per­son­nage auquel ils sont asso­ciés. Il y avait un total de 34 ensembles.

En 1947, les Forces d’oc­cu­pa­tion déci­dèrent sup­pri­mer la Siegesalle et de déman­te­ler les ensembles sculp­tés. Certains seront détruits, d’autres abi­més et d’autres encore enter­rés (déter­rés en 1978) et deux envoyées à la cita­delle de Spandau. Il fau­dra attendre la fin de la RDA et sur­tout 2005 pour que ces sculp­tures soient sau­vées. La majo­ri­té des sur­vi­vantes ont été ras­sem­blées et expo­sées à la cita­delle de Spandau à l’occasion d’une nou­velle expo­si­tion permanente.

Albert l’Ours par Walter Schott

Rammstein, Deutschland : Albert l’Ours (0min52)

Albert Ier dit l’Ours est le fon­da­teur de la Marche de Brandebourg en 1157. Il fait par­tie de la mai­son d’Ascanie, une ancienne famille alle­mande ori­gi­naire de Saxe. Il devint d’ailleurs duc de Saxe de 1137 à 1142. C’est lors de la croi­sade contre les Wendes en 1148 qu’Albert se lia d’a­mi­tié avec un prince slave qui lui légue­ra la Marche du Nord dont la capi­tale était Brandebourg. Cela lui per­met­tra d’in­té­grer l’a­ris­to­cra­tie slave dans la noblesse alle­mande. Neuf ans plus tard, alors qu’il prend part à une expé­di­tion contre la Pologne ses ter­ri­toires sont atta­qués par des Wendes. Albert reçut la per­mis­sion de Frédéric Barberousse de par­tir régler le pro­blème. Suite à ses vic­toires mili­taires lors de cet épi­sode, Frédéric Barberousse créa et lui octroya le titre de mar­grave de Brandebourg.

Sa sta­tue de la Siesalle a été réa­li­sée par Walter Schott. Les bustes l’ac­com­pa­gnant sont ceux des évêques Wigger de Brandebourg et de saint Othon de Bamberg. Ce monu­ment était le pre­mier au sud de la Königsplatz.

Albert II par Johannes Boese

Rammstein, Deutschland : Albert II (3min20)

Petit-fils d’Albert l’Ours, Albert II prend part à la troi­sième croi­sade en 1189 menée par Frédéric Barberousse, Richard Cœur de Lion et Philippe Auguste. En 1198, il par­ti­ci­pa à l’as­sem­blée consti­tu­tive de l’ordre des che­va­liers teu­to­niques. L’ordre des che­va­liers teu­to­niques était à l’o­ri­gine un hôpi­tal de cam­pagne alle­mand fon­dé lors du siège de Saint-Jean d’Acre. A par­tir de 1199, l’ordre s’im­plan­ta en Europe et com­men­ça à chris­tia­ni­ser l’Europe de l’Est. En 1205, Albert II héri­ta du mar­gra­viat de Brandebourg et en devint donc le qua­trième mar­grave. Dans le conflit des Guelfes contre les Gibelins, il pas­sa en 1208 du par­ti sou­te­nant les Hohenstaufen au camp sou­te­nu par Othon IV contre un appui mili­taire ans la défense de son mar­gra­viat. Il est le père de Jean Ier et d’Othon III.

Sa sculp­ture est l’œuvre de Johannes Boese. Elle date de 1898.

Johann I et Otto III par Max Baumbach

Rammstein, Deutschland : ensemble sculp­té repré­sen­tant Jean Ier et Othon III, Max Baumbach (0min43)

Jean Ier et Othon III font par­tie de la même sculp­ture. Elle fait par­tie de l’en­semble 5 sculp­té par Max Baumbach en 1900 com­pre­nant en plus des bustes de Simeon von Cölln et Marsilius de Berlin. À la mort de leur père en 1220, Jean Ier et Othon III déci­dèrent de régner de concert sur la Marche de Brandeburg. Ils enté­ri­nèrent ain­si la sépa­ra­tion du pou­voir et des terres du Brandebourg entre leurs deux lignées, la lignée johan­nique et la lignée otto­nienne. La réuni­fi­ca­tion et un mar­grave unique ne revînt que près d’un siècle plus tard avec l’extinction de la mai­son d’Ascanie.

Les deux frères entre­prirent de rat­ta­cher les marches de l’Est au Saint-Empire, ils fon­dèrent des bourgs et déve­lop­pèrent Berlin et Cölln. Ils fon­dèrent aus­si le monas­tère de Chorin. Le pape Clément IV envi­sa­gea même de confier la nou­velle Croisade à Jean Ier, mais celui-ci mou­rut avant.

Heinrich von Antwerpen par Joseph Uphues

Rammstein, Deutschland : Heinrich von Antwerpen (3min22)

Heinrich von Antwerpen est l’auteur pré­su­mé du Tractatus de urbe Brandenburg. Il a été prieur du cha­pitre de Brandebourg de 1216 à sa mort en 1227. Il fait par­tie du groupe 3 des sculp­tures de l’Allée des Victoires. Cet ensemble com­pre­nant une sta­tue en pied d’Otto a été réa­li­sé par Joseph Uphues et fut dévoi­lé le 22 mars 1899. Heinrich von Antwerpen aurait été réa­li­sé sous les traits de l’his­to­rien alle­mand Theodor Mommsen.

Othon IV par Karl Begas

Rammstein, Deutschland : Othon IV (3min19)

Parmi toutes les sculp­tures, l’une sort de l’ordinaire : la tête pour­vue d’un ban­dage. Il s’agit d’Othon IV de Brandebourg, mar­grave de Brandebourg de 1266 à sa mort en 1308. Le ban­deau est un rap­pel à la bles­sure qui l’a défi­gu­ré lors de la bataille de Staßfurt en 1280. Othon IV a conquis la Saxe pala­tine et la Marche de Landsberg et a ache­té la Marche de Lusace.

Derrière la tête d’Othon IV se trouve le buste de Johann von Kröcher dit Droiseke. Il a été dans une posi­tion d’influence et avait une richesse telle qu’il a pu prê­ter de l’argent à d’autres sei­gneurs. Grâce à cela, il a éten­du les pos­ses­sions ter­riennes de sa famille.

Bern Ryke par Eugen Boermel

Rammstein, Deutschland : Bern Ryke (0min19)

La sculp­ture d’un homme avec un cha­peau XVe siècle est Bernd Ryke (vers 1358 – † 1414). Le Bernd Ryke ou Reiche de Boermel serait en réa­li­té la fusion de deux per­son­nages. L’un maire de Berlin en 1361 et décé­dé en 1978 et le Bernd maire en 1417 et décé­dé la même année.

Friedrich Sesselmann par Alexander Calandrelli

Rammstein, Deutschland : Friedrich Sesselmann (0min24)

La sta­tue de l’évêque repré­sente Friedrich Sesselmann. Ayant vécu au XVe siècle, il était chan­ce­lier du Brandebourg, évêque de Lebus et régent de l’Électorat de Brandebourg. Il a par­ti­ci­pé au ren­for­ce­ment de la posi­tion des Hohenzollern, en par­ti­cu­lier celle de Frédéric II, dans le Brandebourg, notam­ment grâce à la signa­ture d’un concor­dat entre l’Électorat de Brandebourg et le pape Eugène IV. C’est lui qui a per­mis la recon­nais­sance des Hohenzollern par Berlin, Cölln.

La sculp­ture de Friedrich Sesselmann fait par­tie du groupe 16 des sculp­tures de l’Allée des Victoires. C’est l’un des sculp­teurs favo­ris de la cour impé­riale qui réa­li­sa le groupe, Alexander Calandrelli. Le dévoi­le­ment eut lieu le 22 décembre 1898.

Johann Georg et Lampert Distelmeier par Martin Wolff

Rammstein, Deutschland : Johan George et Lampert Distelmeier (0min37)

Les bustes de Johann Georg et de Lampert Distelmeier fai­saient par­tie de l’ensemble sculp­té 21 de la Siegesallee, créé par Martin Wolff et mis en place en 1901. La figure cen­trale de cet ensemble était la sta­tue en pied du comte Rochus zu Lynar connu aus­si sous le nom de Rocco Guerrini (l’architecte de la cita­delle de Spandau).

Johann Georg (Jean II Georges de Brandebourg) est connu pour avoir fon­dé le pre­mier éta­blis­se­ment huma­niste à Berlin, le Berlinisches Gymnasium zum Grauen Kloster. Il a aus­si accueilli des réfu­giés cal­vi­nistes et impo­sé le calen­drier gré­go­rien dans son état.

Lampert Distelmeyer gagna son titre de che­va­lier en aidant à sécu­ri­ser le trans­fert du duché de Prusse du roi Sigismond II Auguste de Pologne à Albert Frederick des Hohenzollern de Brandenbourg. Avant cela, il eut divers postes de conseiller, de chan­ce­lier, de syn­dic et eut un rôle de repré­sen­tant dans des affaires légales et à l’Étranger pour l’é­lec­teur du Brandebourg Joachim II Hector.

Friedrich Wilhelm III et la reine Louise par Adolf Brütt et Erdmann Encke

Rammstein, Deutschland : Friedrich Wilhelm et la reine Louise (4min51)

Bien qu’expo­ser l’un à côté de l’autre dans le musée, les sta­tues du couple royal ne fai­sait pas par­tie du même groupe sculp­té. La sta­tue de Louise, créée par Erdmann Encke, fut éri­gée le 10 mars 1880 sur la petite île nom­mée Luiseninsel. Elle regarde en direc­tion de la sta­tue de son époux Friedrich Wilhem III au nord, sur l’autre berge. La sta­tue de Friedrich Wilhelm III fut éri­gée en 1904 à la place d’un autel bâti en son hon­neur en 1849. Elle est l’œuvre d’Adolf Brütt. Le couple royal est vu comme des résis­tants face à la soif de conquêtes de Napoléon Ier.

La Statuaire du XXe siècle

Monument for Fallen Railway Men par Emil Cauer

Rammstein, Deutschland : Monuments aux Cheminots tom­bés (0min12)

La pre­mière sculp­ture visible dans le clip est celle du Monument for Fallen Railway Men d’Emil Cauer. La sculp­ture en bronze fut dévoi­lée le 16 novembre 1928 devant le musée des trans­ports et de la construc­tion, ancienne gare de Hambourg. Elle repré­sente un sol­dat age­nouillé tenant dans ses mains le reste d’une hampe de dra­peau. Le monu­ment com­mé­more les che­mi­nots décé­dés lors de la Première Guerre mon­diale. L’idée de ce monu­ment a ger­mé en 1925 mais la dif­fi­cul­té de récol­ter des dons a repous­sé sa fabri­ca­tion. Les choses ont pu enfin bou­ger lorsque la Deutsche Reichsbahn-Gesellschaft (Chemin de fer de l’État alle­mand) a déblo­qué les der­niers fonds. La taille du monu­ment dut par contre être revu à la baisse. La sculp­ture fut reti­rée de l’espace public en 1990.

Lénine par Nikolai Tomsky

Rammstein, Deutschland : Lénine (3min23)

Est-il vrai­ment utile de pré­sen­ter Lénine ? À la fois révo­lu­tion­naire com­mu­niste et théo­ri­cien poli­tique, il est le pre­mier pré­sident du Conseil des Commissaires du peuple de la RSFSR puis de l’URSS. Avec la fon­da­tion de l’internationale com­mu­niste en 1919, il cher­che­ra à étendre la révo­lu­tion com­mu­niste au Monde. Après trois ans de pro­blèmes de san­té et de luttes internes avec Staline, Lénine meurt en 1924.

Le sculp­teur der­rière ce Lénine est le russe Nikolai Tomsky. Fils de for­ge­ron, il est deve­nu l’un des sculp­teurs offi­ciels de l’URSS. Plusieurs de ses œuvres ont été démon­tés ou détruites à la chute de l’Union sovié­tique dont celle de Lénine détruite en 1992 après vingt trois ans à trô­ner sur la place Lénine à Friedrichshain (Berlin).

Karl Marx par Lev Kerbel

Rammstein, Deutschland : Karl Marx (5min25)

Figure du com­mu­nisme, Karl Marx ne pou­vait ne pas être par­mi les figures his­to­riques fil­mées. Prussien et hégé­lien, Karl Marx était sub­ver­sif en Allemagne. Ne pou­vant tra­vailler cor­rec­te­ment à cause la cen­sure, il quit­ta l’Allemagne pour s’ins­tal­ler à Paris. Il y devient ami et col­lègue avec Engel. En 1845, le gou­ver­ne­ment prus­sien arrive à faire ban­nir Marx de Paris. Ce der­nier se réfu­gie alors à Bruxelles. Il revient dans la capi­tale fran­çaise lors du Printemps des peuples juste avant de repar­tir en Allemagne. Le vent ayant tour­né, il dut repar­tir en France puis au Royaume-Uni où il mour­ra en 1883 de tuberculose.

Le monu­ment dédié à Karl Marx a été conçu par le sculp­teur sovié­tique mul­ti-déco­ré Lev Kerbel et a été dévoi­lé à Chemnitz en 1971.

Mémorial d’Ernst Thälmann par Lev Kerbel

Rammstein, Deutschland : mémo­rail d’Ernst Thälmann (3min25)

Au milieu des sculp­tures, la camé­ra passe devant des pan­neaux ornés de textes. Ce sont deux pan­neaux. Ils font par­tie du mémo­rial d’Ernst Thälmann conçu par Lev Kerbel et inau­gu­ré le 16 avril 1986 dans le parc à son nom à Berlin. Les plaques ont été reti­rées dans les années 90. D’ailleurs après la Réunification, il a fal­lu dépol­luer le parc qui avait été bâti sur une ancienne usine chimique.

Ernst Thälmann fut le secré­taire géné­ral du par­ti com­mu­niste d’Allemagne de 1925 à 1933. C’est grâce à l’in­sur­rec­tion ratée de Hambourg en1923 qu’il se fit sa répu­ta­tion lui per­met­tant de prendre la tête de par­ti com­mu­niste alle­mand et mettre en pra­tique la doc­trine sta­li­nienne. Soutenu par Staline, Thälmann réus­sit à ren­for­cer les com­mu­nistes. Il obtint d’ailleurs un siège au Reichtag de 1924 à 1933. Mais l’intransigeance sta­li­nienne divi­sa les com­mu­nistes, divi­sant par là-même leur force de frappe face à la mon­tée du nazisme. Le 3 mars 1933, il fut arrê­té. Il chan­gea plu­sieurs fois de pri­son avant de se retrou­ver dans le camp de Buchenwald. Il y fut exé­cu­té sur ordre de Hitler le 17 août 1944. Son cadavre fut inci­né­ré et les nazis ten­tèrent de faire croire à sa mort lors du bom­bar­de­ment du camp le 24 août. Ernst Thälmann devînt alors la figure du résis­tant com­mu­niste.

Chacun des pan­neaux du monu­ment dédié à Ernst Thälmann contient une cita­tion. La pre­mière une cita­tion d’Erich Honecker à pro­pos d’Ernst Thälmann :

“Mit der Gestaltung des Sozialismus
in der Deutschen Demokratischen
Republik set­zen wir Ernst Thälmann,
dem küh­nen Streiter für Freiheit,
Menschlichkeit und sozia­len
Fortschritt unseres Volkes, ein
wür­diges Denkmal.“

Erich Honecker.

Et la seconde une cita­tion d’Ernst Thälmann :

“Mein Leben und Wirken kannte und
kennt nur eines : für das schaf­fende
deutsche Volk mei­nen Geist und
mei­nen Wille, meine Erfahrungen
und meine Tatkraft, ja mein Ganzes,
die Persönlichkeit zum Besten der
deut­schen Zukunft für den sie­grei­chen
sozia­lis­ti­schen Freiheitskampfts im neuen
Völkerfrühling der deut­schen Nation
ein­zu­set­zen ! “

Ernst Thälmann.

Pour visi­ter l’ex­po­si­tion : https://​www​.zita​delle​-ber​lin​.de/​e​n​/​m​u​s​e​u​m​s​/​u​n​v​e​i​l​ed/

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