Parfois la vie va trop vite. Tellement vite qu’on finit par trébucher. On se relève, on panse ses blessures. On recommence à zéro et cette fois, on prend son temps. C’est ce qui est arrivé à Super Beaver…
Punaise ou castor
Comme pour de nombreux groupes japonais, l’histoire de Super Beaver commence au lycée. En avril 2005, sorti de nulle part, un certain Kenta Uesugi aborda un Ryûta Shibuya plongé dans sa lecture, écouteurs sur les oreilles, pour lui demander de chanter dans son groupe. À l’époque, Ryûta était capitaine de l’équipe de handball et Uesugi avait un autre groupe. De surcroît, bien que camarades de classe, tous les deux se parlaient à peine. Tout cela fit douter Ryûta, mais il finit par céder. Ce ne fut que le lendemain qu’il demanda des détails. Ce fut aussi à cette occasion qu’il rencontra Ryôta Yanagisawa le guitariste. Puis quelques jours plus tard ce fut la rencontre avec Hiroaki Fujiwara, batteur et ami d’enfance de Yanagisawa, un gars barbu faisant plus vieux que son âge.

Guitariste, bassiste, batteur et chanteur, le quatuor ne manquait plus que d’un nom. Pour Ryûta, ce nom devait être symbolique et donné une impression de sophistication. Il a donc proposé 画鋲 (Gabyô), la punaise. Une punaise comme celle que l’on plante sur les tableaux de liège. Les trois autres refusèrent. Yanagisawa dit vouloir absolument le mot beaver (castor) dans ce nom. Shibuya retenta alors sa punaise. Punaise versus castor… Victoire écrasante du castor. Ryûta réussit tout de même à ajouter sa touche avec un « super » pour rendre le nom moins « ennuyeux ». Super Beaver était donc né.
Premiers concerts
Habituellement lorsqu’un groupe japonais se crée au collège ou au lycée, le premier concert se déroule pendant le festival de l’école. Pour Super Beaver, l’histoire fut très différente. Un jour Yanagisawa annonça aux membres du groupe qu’un de ses amis les avait invités à jouer à Ikebukuro lors d’un évènement regroupant plusieurs groupes d’étudiants. Or il s’avéra que ce concert n’avait rien de banal et s’ils l’avaient su ils ne l’auraient peut-être pas accepté. Non seulement ce premier concert se révéla être un concert pour une commémoration funèbre, mais en plus ils ne connaissaient même pas le mort. Ils se sont donc retrouvés à jouer pendant 30 min dans une ambiance très lourde.
Voir cette publication sur Instagram
Environ un an après cet évènement éprouvant, Super Beaver prit la décision de participer pour la seconde fois au tremplin le Teen’s Music Festival. Les sélections régionales passées, premiers problèmes. En effet pour leur école de cuisine, Ryûta et Uesugi avait dû se faire une coupe courte. Ryûta avait même dû abandonner sa rose chevelure. Autant, cela rendait bien sur Uesugi autant c’était une horreur sur Ryûta, selon son propre avis. Ajouté à son problème capillaire, une braguette ouverte joua les trouble-fêtes. Mais cela ne les empêcha pas de remporter la finale au Shibuya AX à leur plus grande surprise. En 2005, ils avaient déjà gagné le prix du public mais cette édition 2006 était leur dernière : deux des membres du groupe ne rendraient plus dans les critères d’éligibilité l’année suivante (trop vieux). Pour ce dernier essai, ils réussirent à emporter deux prix : le prix du public et le Grand Prix.
Pas de major sans indé
Gagner un concours national ouvre des portes. En l’occurrence, Super Beaver avait tapé dans l’œil d’une major : Epic Records Japan (c’est-à-dire Sony Music Japan). Problème : Super Beaver n’avait jamais sorti un seul disque jusqu’alors.
Pré-major
Une personne de la major les contacta et leur expliqua qu’ils devaient commencer par sortir des disques en indé. Ils commencèrent alors par faire des concerts et sortirent un premier mini-album en décembre 2007, Nichijyô. Ils étaient chez le label Rebelphonic, un label dépendant de la maison de disque et agence de management Rainbow Entertainment. Puis en août 2008, ils sortirent un premier single, Reset, suivi d’un deuxième mini-album en novembre, Shinkei, et d’une tournée nationale. Pour celle-ci, ils eurent un manager, Hitoshi Gohno. Il s’est chargé du bien-être du groupe notamment en faisant le chauffeur et en aidant Ryûta à surmonter son mal des transports.
Un départ trop rapide
En juin 2009, ce fut la sortie de Shinkokyû, leur premier single chez Epic Records Japan. Un début en major qui fut tonitruant avec deux tie-up. Tout d’abord, leur morceau Michishirube fut diffusé comme opening du remake de la première saison de Naruto. Puis, en parallèle, à partir du 6 mai 2009, ce fut leur morceau Shinkokyû qui servira d’ending à des épisodes de Naruto Shippuden. D’un seul coup, tout le Japon prit connaissance de ce jeune groupe. Interviews, passages à la télé, concerts, évènements, le rythme était intense, trop intense. Le penchant sur-protecteur de la major n’aida en rien. Le groupe était déconnecté de la réalité, il suivait aveuglément les ordres pensant qu’au vu de leur inexpérience, il valait mieux faire ce que leur disaient les pros. Au final, ils n’osèrent plus émettre d’avis, ils se renièrent. Ils en perdirent l’envie de faire de la musique et durent endurer les engueulades. Ryûta ne reconnaissait même plus sa voix sur les enregistrements (Michishirube en est un exemple assez frappant). Il finit par craquer et passa trois jours à l’hôpital.
C’est là qu’il se rendit vraiment compte que la situation ne pouvait plus continuer, il en était arrivé à être heureux de ne plus avoir à mettre les pieds dans un studio d’enregistrement. Il discuta avec leur manager pour organiser une réunion avec les trois autres membres du groupe. Sous l’œil bienveillant de celui-ci, ils firent le point et en arrivèrent tous à la conclusion que cela devait s’arrêter. Super Beaver prit alors la décision de quitter Epic Records. Ils négocièrent avec la major qui leur permit de sortir un dernier album, Super Beaver, avant de démissionner en 2011.
Repartir de zéro
Le retour en indé, c’est se priver de la protection des majors, du salaire mensuel, du personnel s’occupant des coulisses (production, tournée, publicité, etc.). Ils durent trouver un équilibre entre petit boulot et temps consacré au groupe. Yanagisawa se retrouva à bosser pour un restaurant de hamburger comme Fujiwara, Uesugi pour un restaurant de ramen et, après avoir galéré, Ryûta se fit embaucher dans un izakaya. Cet équilibre précaire s’écroula une première fois lorsque Fujiwara se fit viré à cause de son âge (22 ans), puis une seconde fois lorsque la pizzeria dans laquelle il bossait fit faillite.
Un nouveau départ
Dépourvu de la protection d’une major et se trainant la mauvaise image d’un groupe ayant quitté une grosse maison de disque, et pas n’importe laquelle, Super Beaver dut apprendre tout le processus nécessaire pour sortir un disque en indé. Leur professeur en la matière fut Hitoshi Gohno qui les avait précédemment aidé à trouver des petits boulots. Ils créèrent alors leur propre label I x L x P x Records, ce qui leur a permis de sortir leur single Yorokobi no Ashita ni et leur mini-album Sekai ga me o samasu no nara. Le graphiste Masato Kassai (le créateur de leur logo), Tetsuya Kaneshige l’ingénieur du son et Nagai du livehouse Eggman les aidèrent pour ces sorties.
Se reconstruire
Mais cela n’était pas suffisant pour faire une centaine de concerts tout en ayant un travail alimentaire. Ce fut lors d’une fête pour célébrer leur deuxième sortie indé que le ciel s’éclaircit. Nagai, un booker d’Eggman, proposa de s’occuper de tout pour eux. C’est ainsi qu’il commença par faire du festival [Noid] un label dépendant du label Murffin Discs, lui-même dépendant du livehouse Eggman. Nagai aida les quatre membres de Super Beaver à éponger leurs dettes. Cela leur a pris trois ans et ce ne fut qu’en 2015 qu’ils purent se consacrer de nouveau à 100% à la musique. Sous l’égide de Nagai et de Murffin Discs, Super Beaver eut l’occasion de jouer avec des groupes très différents. Eux qui sont dans le pop-rock se retrouvèrent sur la même scène que des groupes de hardcore et de métalcore.
Atteindre le sommet
Du concert au O’Crest en 2013 (300 places) au Yoyogi National Gymnasium en janvier 2020 (12000 places), Super Beaver put mûrir et se forger une image, notamment Ryûta qui a revêtu le look de ce qu’il considère être l’allure idéale du chanteur glam rock. Finalement, sachant à présent ce qu’ils veulent et étant capables de le faire savoir, Super Beaver accepta de revenir dans le giron de Sony pour leur 15 ans. L’annonce officielle et leurs premiers pas en major furent un peu perturbés : 2020 était le retour de Super Beaver en major mais aussi l’année de la crise du Covid. Annonce sur Youtube, concerts repoussés ou annulés, concerts sans public retransmis sur internet, ce fut un début très particulier. Mais cela permit aussi au groupe de se rapprocher de son public grâce à des sessions de discussion et jeux en live streaming.